Histoire et chronique de l’odonatologie française

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1323-1856 : de la première illustration aux premières synthèses modernes

La première illustration de Libellule pour la France se trouve dans le Bréviaire de Belleville, ouvrage manuscrit de Pucelle (1323-26). Il s’agit d’un Calopteryx, qui ayant les marques atteignant l’apex est assimilable à Calopteryx xanthostoma. On ne trouve rien de plus ancien dans le domaine de l’odonatologie sauf deux tableaux de Qian Xuan (1235-1305) qui représentent quelques espèces dont seule Rhyothemis fuliginosa de Chine a été déterminé pour l’instant.

C’est Rondelet (1558) qui avec l’essor de l’imprimerie désigne le nom de Libella par rapprochement morphologique des larves de Zygoptères avec l’aspect en miniature de Requins marteaux, ces derniers étant nommés ainsi sur la base d’un outil d’architecte pour les mesures de niveaux du même nom Libella. Ce nom repris par les auteurs, va donner Libellula qui est une version diminutive forgée par Linnaeus (1735).

Planches assemblées de Rondelet (1558) Libella, Zygaena : Requin marteau
Libella fluviatilis : nymphe [de Calopteryx]

Hoefnagel (1575) présente les Libellules comme des Mouches, Muscas. Il illustre magistralement une dizaine d’espèces. Il ajoute (Hoefnagel 1590) une planche de Brachytron pratense pour les Libellules de France.

Sympetrum depressisculum – extrait de la planche LIV de l’ouvrage d’Hoefnagel (1575)

Le onzième mémoire de Réaumur (1742) s’intitule Des mouches à quatre aisles nommées Demoiselles. Il distingue dans son ouvrage trois genres grossièrement et en précise les larves qu’il appelle nymphes qu’il décrit longuement avec notamment leur masque. Il développe ensuite de manière détaillée la métamorphose avant de traiter de l’accouplement. Il traite ensuite d’observations concernant Platetrum depressum, notamment à Paris, pour reprendre sur le sujet des accouplements avant de traiter des pontes. L’ouvrage est accompagné de diverses planches illustrant la morphologie, les larves, le comportement et quelques exemples de Libellules. Ce gros ouvrage sur la biologie des Odonates ne sera pas surpassé dans ce domaine avant le début du XXe siècle, les naturalistes étant alors concentré principalement sur la description des espèces dans l’entre-temps. Un point sur les espèces repérables dans les ouvrages très anciens permet de repérer près d’une vingtaine d’espèces pour la France avant même que les premières linnéennes ne soient faites, toutes dans le genre Libellula (Linnaeus 1758).

L’auteur dit que la fig.1 correspond mâle et la fig.2 à la femelle d’une même espèce. On reconnaît parfaitement ici un mâle de Platetrum depressum, mais je pense que la seconde est une femelle d’Eurothemis fulva
Une des nombreuses illustrations prise ici chez de Réaumur (1742)

Geoffroy (1762) à peine quatre an après la fondation de la taxonomie binominale linéenne rédige un sérieux panorama des Insectes de la région parisienne. S’il connaît le travail de Linnaeus (1758), il n’applique pas sa méthode et donne des noms en français à ses Libellules. Ce sont pour elles, généralement de prénoms féminins. La Cécile est une nouvelle espèce qui sera validée par l’adjonction d’un nom scientifique ultérieurement par de Fourcroy (1758) : Libellula cecilia Geoffroy in de Fourcroy, 1758, connue aujourd’hui sous le nom d’Ophiogomphus cecilia. La Victoire (Geoffroy 1762) aurait aussi dû faire carrière. En effet Libellula victoria Geoffroy in de Fourcroy, 1758 (nomen oblitum) n’est autre que Crocothemis erythraea (Brullé, 1832). Notons que le nom de Demoiselles reste préféré pour nos Insectes. Ce n’est qu’un peu plus tard, avec Olivier (1792) que le nom scientifique Libellula va passer dans le français, Libellule.

L’école lyonnaise trouve une part de ses fondations avec Charles de Villers qui en 1789 reprend la Fauna Svecica selon la méthode de Linnaeus et l’applique aux « Insectes » régionaux. Il donne de nouveaux noms qui sont en fait des synonymes, mais la Libellula tenella de Villers, 1789 se distingue une nouvelle espèce valide. Il s’agit de Ceriagrion tenellum. À cette date, il y a près d’une trentaine d’espèces d’Odonates désignées pour la France.

Les connaissances odonatologiques françaises ne progressent que très faiblement au début du XIXe siècle. On fait alors plutôt le tri dans ce qui est déjà publié. Il faut attendre les années 1830 avec les travaux de Boyer de Fonscolombe (1837, 1838) localisés sur les Odonates de la région d’Aix-en-Provence dans les Bouches-du-Rhône pour noter quelques nouveaux progrès significatifs. Cet auteur fait de nombreuses descriptions détaillées mais tend aussi à prendre des espèces déjà connues pour d’autres espèces. Se dégagent toutefois trois nouvelles espèces pour la science : Libellula brunnea, Aeshna irene et Agrion caerulescens respectivement pour Orthetrum brunneum, Boyeria irene et Fonscolombagrion caerulescens. Le nombre d’espèce désignées alors pour la France dépasse la quarantaine. Les ajouts s’accumulent ensuite avec de Selys Longchamps (1840), Rambur (1842) et surtout de Selys Longchamps & Hagen (1850). Au milieu du XIXe siècle, ce sont 73 espèce qui sont connues en France.

La synthèse de Pidancet (1856) sur les Odonates des environs de Besançon, vient clôturer cette première période choisie de l’odonatologique française. Il est intéressant de savoir que ses collections comprennent deux nouveaux taxons pour la science, presque passés inaperçus et dont les types se trouvent dans une collection d’un petit Musée local : Aeschna justi Pidancet, 1856 et Libellula bruandi Pidancet, 1856 qui correspondent en définitive à Aeshna juncea et Orthetrum brunneum (David 2020 ; com., G.David & C.Deliry).

À suivre…

Année 2019

La Société française d’Odonatologie a récemment été dissoute. Afin de poursuivre les missions entomologiques qu’elle portait, une migration de ses activités est alors ménée vers l’Office Pour les Insectes et leur Environnement (Opie), qui assurera désormais le relais.

Sur le plan faunistique, plusieurs événements notables sont à signaler. Pantala flavescens, une espèce évoquée de manière incertaine par Aguesse dès les années 1960, est désormais officiellement reconnue comme nouvelle pour la faune de France. Cette confirmation vient enrichir la liste des espèces d’odonates présentes sur le territoire. Autre fait marquant : Paragomphus genei, bien connu en Corse où il avait été régulièrement observé, n’avait jusque-là jamais fourni de preuve de reproduction. C’est désormais chose faite, avec la première confirmation de reproduction sur l’île en 2019. Enfin, Hemianax ephippiger continue d’alimenter les observations à travers la France, notamment durant l’automne. Bien que la majorité des données proviennent du Bénélux, où des émergences ont été largement documentées, des émergences ont également été constatées sur le sol français, contribuant à une meilleure compréhension de la dynamique de cette espèce migratrice.

Références chronologiques

  • Pucelle J. 1323-26 – Breviarium ad usum fratrum praedicatorum. – « Bréviaire de Belleville ». – Manuscrit.
  • Qian Xuan [1235-1305] – Début d’automne. [et] Libellule sur un Bamboo. – [Peintures chinoises du XIIIe siècle]
  • Rondelet G. 1558 – L’Histoire entière des Poissons. – Bonhome, Lion.
  • Linnaeus C. 1735 – Systema Naturae. 1ère édition. – Lugduni Batavorum. – ONLINE
  • de Réaumur R. 1742 – Mémoire pour servir à l’histoire des Insectes. Onzième mémoire. Des mouches à quatre aisles nommées Demoiselles. – Imprimerie royale, Paris [Demoiselles] : 387-457. – PDF
  • Linnaeus C. 1758 – Systema naturae. 10e édition. – Holmiae.
  • Geoffroy E.L. 1762 – Histoire abrégée des insectes qui se trouvent aux environs de Paris. – Durand, Paris.- ONLINE
  • de Fourcroy A.F. 1785 – Entomologia parisiensis. – Parisii. – ONLINE
  • Brullé A. 1832 – Expédition scientifique de Morée. Section des sciences physiques. – Tome III, 1e partie, Zoologie, 2e section, Des animaux articulés.
  • Boyer de Fonscolombe M. 1837 – Monographie des Libellulines des environs d’Aix. – Ann. de la Soc. Entomol. de France, 6 : 129-150 + pl. – ONLINE
  • Boyer de Fonscolombe M. 1838 – Monographie des Libellulines des environs d’Aix. Deuxième et troisième parties. – Annales de la Société Entomologique de France, 7 : 75-106 + 547-575. – ONLINE
  • de Selys Longchamps E. 1840 – Monographie des Libellulidées d’Europe. – Roret, Paris ; Muquardt, Bruxelles. – ONLINE
  • de Selys Longchamps E. & Hagen H.A. 1850 – Revue des Odonates ou Libellules d’Europe. – Muquardt, Bruxelles & Leipzig, Roret, Paris : XXII + 408 pp. + 11 pl. – ONLINE
  • Pidancet L. 1856 – Catalogue des Libellulidées des environs de Besançon. – Mém. de la Soc. d’émulation du département du Doubs, Série 2, 7.
  • David G. (JNE) 2020 – Odonates du Musée de Poligny. CR de la visite du 30 janvier 2020. – Document numérique.