Naïades ou Nymphes et Exuvies d’Odonates
Les Odonates entrent dans l’histoire des sciences par la présentation de la Libella fluviatilis par Rondelet (1558) qui compare les nymphes au Requin Marteau, et au niveau des architectes appelé Libella. Il présente à mon avis une « larve » de Calopteryx. Ce nom sera à l’origine du genre Libellula forgé pour tous les Odonates de l’époque par Linnaeus en 1735 et officialisé en 1758.
Les premières représentations de « larves » se trouvent dans une planche de Swammerdam éditée en 1685 (tab. VIII), qui illustre le développement larvaire et le cas d’une émergence d’une espèce que je pense être Eurothemis fulva.
L’étude de Cabot (1881) me semble être une des toutes premières synthèse sur les nymphes de l’histoire de l’Odonatologie (com., 25 janvier 2025).
Quand lors de l’hiver 2003, un de mes stagiaires, Lionel Loubignac, avait été missionné pour étudier et déterminer les larves du cours de la Varèze en Isère (France), j’avais prévu qu’il fasse des récoltes et étudie les insectes conservés en alcool. Il a insisté pour ne pas tuer les nymphes et souhaitait les étudier in vivo, ainsi que les déterminer sur le terrain. Je pensais que ce serait pour ainsi dire impossible. Nous avons mis au point des méthodes simples de récolte et de comptage avec des « coups de tamis » (notamment des passoires de piscine, solides et efficaces), été confronté aux difficultés de détermination, et aux ambiguïtés des descriptions. Rapidement Gomphus vulgatissimus, Boyeria irene, Cordulegaster boltonii se sont avérés faciles à repérer. Nous avions par contre des problèmes avec les Onychogomphus forcipatus qui à l’état larvaire présentent une tendance plus épineuse que chez les exuvies et deux cohortes se distinguaient, les épineux et les peu épineux… avec des moments de doutes autour d’Onychogomphus uncatus et même Ophiogomphus cecilia. Ces deux espèces ne sont pas sur la Varèze et toutes les larves ont finalement été ramenées à Onychogomphus forcipatus. Les Calopteryx restaient les principaux Zygoptères rencontrés et les déterminations encore peu affinées.
Depuis les recherches de nymphes en période hivernale, sont devenues le quotidien de certains odonatologues et elles sont particulièrement pertinentes dans le cadre de l’étude des Thecagaster bidentata. Des difficultés existent quant à l’agressivité de telles méthodes d’étude sur les habitats, en particulier de faible dimension ou la faune annexe comme les Poissons dont les pontes peuvent être endommagées.
J’ai poursuivi en ce qui concerne l’étude des nymphes de Zygoptères, avec moins d’efficacité et moins d’assiduité aussi. Toutefois, il semble apparaître que l’étude des Zygoptères par l’entremise des larves est une méthode probablement plus efficace et pertinente que celle associées aux exuvies. En effet ces dernières sont assez difficiles à découvrir le plus souvent (sauf sur certains sites à Lestes de montagne), et tendent pour les Coenagrionidae s.l. à se recroqueviller, perdre de précieuses informations en particulier sur les contrastes de teintes. L’étude des larves est facilitées en termes de récolte et les déterminations semblent plus faciles qu’on ne l’imagine. Les genres se distinguent assez bien et les larves conservent toute la forme et les détails des appendices anaux, tout en ayant des nuances de couleur et de contrastes qui disparaissent volontiers chez les exuvies, en particulier si elles ont vieilli.
Personnellement j’appelle Nymphules, les larves de Libellules, barbarisme s’il en est, néologisme si vous l’adoptez (C.Deliry, com. du 30 décembre 2018). Il s’avère en définitive que le terme de larve, habituellement utilisé en particulier en Europe n’est pas correcte et celui de nymphe s’avère, comme le soulignent nos collègues américains adapté : on passe donc de nymphules, ma proposition (pour les Odonates) à nymphes qui est le nom correct (com., 6 octobre 2024). |
Cannings & al. (2024) préconisent et adoptent le terme de naïade plutôt que larve, voire nymphe, pour désigner le stade aquatique des Odonates.
Masque larvaire des Odonates
Le masque est une originalité pour ainsi dire unique dans le Règne animal, un outil très sophistiqué et efficace, propre aux Odonates.

(a-c) Séquence de mouvement exemplaire du ciblage de la proie et de la frappe prédatrice subséquente à partir du côté latéral. (d-f) Séquence de mouvement exemplaire de la frappe prédatrice à partir du côté dorsal, montrant une frappe droite sans décalage latéral. (g) Approximations de l’angle physiologique (paa) de l’axe z (N = 10) pendant la protraction du masque labial préhensile lors de l’attaque prédatrice ; visualisations 3D de la tête à partir de données µCT, vue dorsale. |
(h) Tête étiquetée, vue fronto-latérale. ce, œil composé ; hc, capsule céphalique ; lp, palpe labial ; mh, crochet mobile ; paa, approximations de l’angle physiologique ; phj, articulation postmentum-tête ; ppj, articulation postmentum-prémentum ; prm, prémentum ; psm, postmentum. |
Traduction libre (CD) (source : voir fig.5) ➚
Détermination des Nymphules européennes
Le plus ancien document que je connaisse qui permet une détermination relativement complète des « larves » ou exuvies d’Odonates d’Europe est celui de Rousseau (1908-09). Chronologiquement on s’attardera sur les annexes de l’ouvrage de Robert (1958) qui bien qu’assez peu commentées dans le guide rassemblent des éléments qui recoupés sont tout à fait pertinents pour réaliser des détermination. Classiquement les odonatologues francophones se sont basés chronologiquement sur la clé d’Aguesse (1968) et d’Heidemann & Seidenbusch (2002), mais ce sont les travaux de Brochard (2012) qui sont très remarquables régulièrement utilisés par les naturalistes les plus exigeants malgré la frontière de la langue. L’ouvrage de Doucet (2016), dans sa troisième édition est un bon condensé qui permet d’avancer sur le sujet. La littérature anglaise est très peu exploitée en particulier car le nombre d’espèce est limité et il en manque trop pour travailler en France. Le magnifique travail de Paul-André Robert mis en valeur par Brochard (2018) vaut vraiment le détour dans votre bibliothèque. Ma préférence va actuellement pour le récent ouvrage sur les Larves de Libellules de la Péninsule espagnole : Conesa García (2021). Un ouvrage monumental a été préparé par auteur allemand et on attend depuis bientôt une décennie le travail prévu en français et préparé par Christophe Brochard… à suivre.
Cyrille Deliry (2018, 2024), version du 6 septembre 2025
Citation de la page ☞
[Deliry C. 2025] – Naïades ou Nymphes et Exuvies d’Odonates. – Odonates du Monde (Blog), 6 septembre 2025 (2018, 2024). – ONLINE
Références (sélection)
- Aguesse P. 1968 – Les Odonates de l’Europe occidentale, du nord de l’Afrique et des Iles Atlantiques. – Masson, Faune de l’Europe et du Bassin méditerranéen, vol.6, Paris : 258 pp.
- Aguesse P. & Testard P. 1967 – Développement et productivité des larves d’Aeschnidae. – In : Lamotte M. et Bourlière Prénom [A préciser !] – Problèmes de productivité biologique. – Masson, Paris : 183-198.
- Brochard C. & al. 2012 – Fotogids Larvenhuidjes van Libellen. – [Guide photographique des exuvies. Europe]. – KNNV.
- Brochard C. (dir.) 2018 – Les larves de libellules de Paul-André Robert : L’Œuvre d’une vie. – NVB.
- Cabot L. 1881 – Immature state of the Odonata. Part II-Subfamily Aeschnina. Illustr. – Cat. Mus. Comp. Zool., Harvard College, 8 (1).
- Cham S. 2012 – Field Guide to the Larvae and Exuviae of British Dragonflies. – British Dragonfly Society, réédition combinée des Zygoptères et Anisoptères : 152 pp.
- Cannings R.A. & al. 2024 – The Dragonflies and Damselflies (Insecta : Odonata) of Canada : species list, geographical distribution, status, and conservation ranks. – Zootaxa, 5410 (1) : 1-48.
- Conesa García M.Á. 2021 – Larvas de Libélulas en la península ibérica. – Torres ed. : 528 pp.
- David G. 2015 – Hommage à Daniel Grand : constitution d’une collection de référence d’exuvies. – Bull. mensuel de la Soc. linnéenne de Lyon, 84e année (9/10) : 257.
- de Réaumur R. 1742 – Mémoire pour servir à l’histoire des Insectes. Onzième mémoire. Des mouches à quatre aisles nommées Demoiselles. – Imprimerie royale, Paris [Demoiselles] : 387-457. – PDF
- [Deliry C. 2018] – Après les Libellules en 1958, c’est au tour des Nymphules en 2018. – Odonates du Monde, Notule du 30 décembre 2018. – ONLINE (Odonates du Monde)
- Doucet G. 2012 – Clé de détermination des exuvies des Odonates de France. – SfO, Bois d’Arcy.
- Doucet G. 2016 – Clé de détermination des Exuvies des Odonates de France. – Société française d’Odonatologie, Fondation Nature et Découvertes, 3e édition.
- Fleck G., Brenk M. & Misof B. 2008 – Larval and molecular characters help to solve phylogenetic puzzles in the highly diverse dragonfly family Libellulidae (Insecta : Odonata : Anisoptera) : The Tetrathemistinae are a polyphyletic group. – Organisms Diversity and Evolution, 8 (1) : 1-16.
- Gerken B. & Sternberg K 1999 – Die Exuvien europäischer Libellen (Insecta, Odonata). – [Les exuvies de libellules européennes (Insecta, Odonata).] (en allemand) – Huxaria Druckerei GmbH, Verlag und Werbeagentur, Höxter : vi+ 354 pp.
- GOA 2015 – Fiche à l’usage des amateurs d’exuvies. – Document du Groupe Odonat’ Auvergne. – PDF LINK
- Heidemann H. & Seidenbusch R. 2002 – Larves et exuvies des Libellules de France et d’Allemagne (sauf de Corse). – Société Française d’Odonatologie, Bois d’Arcy : 415 pp.
- Hutchinson R. & Ménard B. 2016 – Naïades et exuvies des libellules du Québec : clé de détermination des genres. – Entomofaune du Québec, Saguenay : 71 pp.
- Koehnsen A., Gorb S.N. & Büsse S. 2023 – A switchable joint in the head of dragonfly larvae (Insecta: Odonata) as key to the multifunctionality of the prehensile labial mask. – Jez-A, Ecological and integrative Physiology, 26 avril 2023. – ONLINE
- Lucas W.J. 1930 – The aquatic (naiad) stage of the British Dragonflies (Paraneuroptera). – Ray Society, London., Dulau & Co. Ltd. : 132 pp.
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- Robert P.A. 1958 – Les Libellules (Odonates). – Del. & Niestl., Neuchâtel, Paris : 364 pp.
- Rousseau E. 1908-09 – Etude monographique des larves des Odonates d’Europe. – Annales de Biologie lacustre, Tome III : 300-366. – ONLINE
- Swammerdam J. 1685 – Historia insectorum generalis. – Lugd. batavorum, Jordanum Luchtmans. – ONLINE : pl.VIII
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